Chanson Heureux Qui Comme Ulysse A Fait Un Beau Voyage

Ah, "Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage…" Du Bellay. Un poème que tout le monde connaît, mais que peu comprennent réellement. Laissez-moi vous guider dans les méandres de ce sonnet, au-delà de la simple nostalgie du pays natal.

Joachim du Bellay, en composant ces vers immortels, ne se contente pas de pleurer son Anjou. Il peint un tableau complexe, une mosaïque d'émotions et de réflexions sur l'exil, la connaissance et la condition humaine.

Il faut d'abord situer le contexte. Du Bellay, en 1558, se morfond à Rome. Secrétaire du cardinal Jean du Bellay, il est las des intrigues de la cour papale. Le spleen le ronge. C’est dans ce terreau fertile que germe "Les Regrets", recueil dont ce sonnet est le fleuron.

Le poème s'ouvre sur une exclamation : "Heureux qui, comme Ulysse…". Ulysse, figure mythique par excellence. Voyageur infatigable. Astucieux. Fort. Mais surtout, un homme qui aspire au retour. Du Bellay ne l'idéalise pas. Il le prend comme point de départ. Un symbole universel du voyage et du désir de revenir à ses racines.

Il ne s'agit pas seulement d'un voyage physique. C’est un voyage initiatique. Un parcours semé d'embûches. Un apprentissage constant. Ulysse a vu le monde. Il a combattu des monstres. Il a affronté les dieux. Il a acquis une sagesse incomparable.

Du Bellay, lui aussi, voyage. Mais son voyage est différent. C'est un exil forcé. Une source de désillusion. Rome, qu'il imaginait grandiose, se révèle mesquine et corrompue. Il est loin de son Anjou, de ses paysages verdoyants, de ses amis.

La comparaison avec Ulysse est donc nuancée. Du Bellay admire le héros homérique, mais il se sent impuissant face à son propre destin. Il aspire à la même plénitude, mais il est conscient de la difficulté, voire de l'impossibilité, de l'atteindre.

Le deuxième quatrain accentue cette ambivalence. "…Ou celui qui conquit la toison…" Jason. Un autre héros mythologique. Un autre voyageur. Un autre symbole de l'aventure et de la quête. Mais là encore, Du Bellay introduit une subtilité. Jason a conquis la toison d'or. Un trésor. Un symbole de richesse et de pouvoir. Du Bellay, lui, n'a rien conquis. Il se sent dépouillé. Il a perdu son identité.

"…Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge !" L'objectif ultime. Le retour au foyer. Retrouver ses proches. Vivre paisiblement. Profiter des fruits de son expérience. Une aspiration légitime. Une promesse de bonheur. Mais une promesse que Du Bellay ne sait pas s'il pourra tenir.

Le tercet initial marque une rupture. "Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison…" Le ton change. La nostalgie devient plus vive. Plus personnelle. Plus déchirante. Le "hélas" traduit la souffrance. L'impuissance. Le doute.

Du Bellay ne se contente pas de décrire le paysage. Il évoque des images simples. Familiales. La fumée de la cheminée. Le "clos" de sa maison. Des détails qui prennent une dimension symbolique. Ils représentent le foyer. La sécurité. L'intimité. Tout ce que Du Bellay a perdu.

Le tercet final est une supplique. Un appel désespéré au retour. "Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine." Du Bellay rejette Rome. Ses palais fastueux. Son marbre froid. Il préfère la simplicité de son village. La maison de ses ancêtres. L'ardoise fine.

Il ne s'agit pas d'un simple rejet esthétique. C'est un rejet de toute une culture. Une culture qu'il juge superficielle et corrompue. Il aspire à une vie plus authentique. Plus proche de la nature. Plus enracinée dans ses origines.

Du Bellay ne se contente pas de glorifier le passé. Il critique implicitement le présent. Son exil à Rome est une source de désillusion. Il se sent étranger. Incompris. Il aspire à retrouver sa place. Sa véritable identité.

En conclusion, "Heureux qui, comme Ulysse…" est bien plus qu'un simple poème sur la nostalgie. C'est une réflexion profonde sur l'exil, la connaissance, la condition humaine et le désir de retour. Un texte complexe, riche en nuances et en émotions, qui continue de résonner avec force des siècles après sa création.